Source: Positif
Author: Nicolas Geneix
Sans compromis et avec la liberté que donne l’animation, cette fantasmagorie visuelle et musicale brave la dialectique ambiguë du sauveur et du sauvé. Un Robinson volontaire et contemporain regarde le monde à travers sa tablette numérique magique. Médecin mélancolique satisfait de ses bonnes intentions, il aide un réfugié reconnaissant mais le laisse vite s’éreinter à diverses tâches. Sur l’île, Lampedusa du métavers, tout mani- feste la crise de notre sens de l’hospitalité : langage détraqué, imaginaire kitsch, malaise dans les couleurs, sentiment de solitude éprouvé dans un monde pourtant fait de connexions. Il faut qu’une éclipse alchimique dore les flots pour que s’expriment les légitimes aspirations d’Amadou-Vendredi, pris entre pirates, forces armées et Sirène-ONG. Dans une perspective postmoderne et postcoloniale, Anca Damian remotive le roman de Defoe, mais aussi sa démythification théâtrale par le surréaliste roumain Gellu Naum. En 2011, cette pièce avait été mise en musique par Ada Milea et Alexander Bălănescu, qui composent la belle partition tourmentée du film. La cinéaste, qui n’a jamais craint la profusion transformiste des images (La Montagne magique, L’Extraordinaire voyage de Marona…), le jeu avec les archétypes et un humour qui peut rappeler Ionesco, se renouvelle encore avec cette réalisation à part. Ses sources d’inspiration plastique sont multiples : les sculptures cinétiques de 0eo Jansen, le Burning Man américain, la création virtuelle de type Second Life…
La logique du conte onirico-initiatique voit Vendredi s’émanciper, tandis que Robinson traverse un carnaval consumériste babylonien sous ecstasy : du Bosch pour notre temps (on pense parfois au Congrès d’Ari Folman). L’un dans l’(inter)action, l’autre par l’imagination, ces deux enfants de la même Terre cherchent le paradis, voire le sens de la vie… une expression qui donna son titre au plus insolite long métrage des Monty Python.